TEXTE NUMERO 4 pour le CONCOURS Cé la Rantré par Huguette Conilh
Posté par bouquinsprlefun le 5 septembre 2015
TEXTE NUMERO 4 par Huguette Conilh
Je l’ai jamais dit à personne, faut préciser que je tiens à ma réputation, mais la rentrée, pour
moi, c’est le meilleur jour de l’année. Je connais rien de plus cradingue que l’été : c’est moite,
ça pue, et la nuit vient trop tard pour organiser les petits trafics sans éveiller les soupçons des
parents. Des adultes. Des biens pensants. Des empêcheurs de tourner en carré. Des fabricants
de règles. Parce que moi, les règles, je m’en contrefous ; même m’en servir uniquement pour
tracer un trait ça me file la gerbe. J’aime pas ce qui est droit. C’est pas droit la vie, ça ondule,
ça fait des vagues, des tours et des détours. Je suis pas sûr que les règles puissent redresser ça.
C’est la rentrée. On la sentait venir depuis au moins un mois, tu me diras ; des fournitures
plein les magasins, des mômes braillards dans les rayons, ma mère avec sa liste de quinze
kilomètres et mon père qui préparait le terrain à coups de promesses qu’il ne tiendra pas,
comme d’hab. Tous les ans, il croit que c’est le grand jour, le grand départ d’une nouvelle vie
pour moi. Tous les ans, il est persuadé que je vais m’y mettre, que j’ai grandi, que j’ai
compris. J’ai compris, oui, mais pas la même chose que lui. J’ai compris qu’il suffit pas de
vouloir des belles choses pour les autres, il faut aussi faire un pas vers eux, leur tendre la
main, parler la même langue si possible. Et lui, il parle pas la mienne.
À 15 ans, tu peux pas imaginer ton avenir en PDG d’une future multinationale. À part s’il te
laisse entrevoir la possibilité d’étendre tes petits trafics perso comme l’araignée qui demande
rien à personne pour tisser sa toile. Ils sont combien à piger ça, parmi ceux qui ont fini par
rejoindre le troupeau des endormis ? Moi, je rêve que d’un truc, c’est de zapper cette année
d’un claquement de doigts et d’entrer l’année prochaine en apprentissage. Il me faut de la
thune. Le commerce du gazon, ça commence à sentir le roussi. Comme le milieu de l’été en
pleine canicule. Bosser un minimum pour empocher un peu d’argent de poche, le temps
d’anesthésier la méfiance parentale, c’est jouable, non ?
Ça se bouscule au portillon, à grands coups de claques dans le dos, de rire qui sonnent faux,
de voix qui portent loin. Je fais pareil, j’imite assez bien le mec content de retrouver ses
copines les brebis. Peut-être même que cette année j’arriverai à me faire des potes, pour de
semblant comme dit ma petite sœur qui nage encore dans l’innocence. C’est important les
apparences, ça te permet de passer incognito et de créer le buz le jour où tu passes à l’acte.
Notoriété facile : toujours être à l’opposé de ce qu’on attend de toi.
Je connais personne qui soit capable d’aller voir au-delà des apparences. Je l’ai pas encore
rencontré en tout cas. Je me demande bien ce que ça va donner avec la nouvelle prof de
techno. Faut dire qu’on a bien usé l’autre l’an dernier, pas tout à fait jusqu’à la corde qui a mis
fin à sa carrière.
C’est la rentrée, alors je rentre. Tous les ans mon père fait le même rêve et moi je fais le mien.
Celui de rencontrer le prof qui me sortira de cette merde.
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